Saint-Renan, 15 avril 1915
Chers parents
Votre lettre du 11 m’est parvenue le 14, je suis heureux de toutes les nouvelles que vous m’y donnez !
Je vous prie de bien remercier Eugénie Pommier ! Je lui adresse moi aussi, le salut d’un marsouin cantonné à Saint-Renan. Je n’oublie personne, ma pensée s’étend à tous les chers qui sont loin de moi et que j’aie su me faire amis.
Merci chers parents de ce que voudriez bien envoyer de l’argent, vous en avez pourtant besoin, je le sais !
Comme l’argent file vite, c’est une anguille passant par les doigt. Une malheureuse bronchite que j’aie eue à Brest m’en a fait filer pas mal bien malgré moi, je vous l’assure !
Ici, on est forcé de se soigner soi-même; je ne veux point vous dire tout ce qu’il nous faut acheter; savon et autres, mais il faut des ronds ici. Les cartes postales que j’aie envoyées, le transport de mes souliers et les autres choses que j’aie payées m’ont entamé ma bourse. Je crois pourtant qu’on ne peut guère ménager plus que moi. Le vin est toujours blanc pour moi; c’est une rareté si j’en bois !
Si vous m’envoyez quelque argent, envoyez moi en lettre recommandée; ça vous coûtera 7 sous. Avec les mandats, c’est tout un train.
J’ai vu mon cousin; il a reçu la lettre de Françoise. Je ne comprends pas que Désiré ne m’a pas dit avoir reçu mon portrait, voilà de cela, trois semaines au moins.
Tous les jours, école du soldat et marche dans la campagne, tir 2 fois la semaine.
Tout le monde ici, marche en frères, nous avons 3 corvées de soupe, 2 hommes de chambre pour le balai et la lampe. C’est moi qui suis l’homme de jus tous les matins.
Le printemps a souri ici ; les arbres presque bourgeonnés partout, les poiriers sont en fleur. Je crois avoir vu de jeunes patates aujourd’hui.
Nous avons un bon lieutenant, un adjudant bon comme un père et gai comme un pinson, un bon sergent et un très bon caporal à qui je porte le jus au lit.
Tous les matins: gymnastique suèdoise, escrime à la baïonnette, exercice du fusil.
Je voudrai que vous nous voyez allongés dans les champs pendant que l’adjudant nous fait la théorie ou qu’on attend les patrouilles. C’est la bonne vie en ce moment.
Puisque vous pensez à moi, merci, merci chers parents ; on gagne peu ici pour pouvoir dépenser beaucoup.
Je vous quitte en comptant sur votre réponse quand vous voudrez.
Soyez tranquilles, aimez-vous !
Je vous embrasse tous.
Eugène Pambouc
2eme colonial, 26e compagnie, 1ere section.
Saint-Renan, Finistère