Eugène PAMBOUC écrivit de nombreux poèmes durant les quelques mois qu’il a passé au front, il écrivait aussi souvent à sa famille. Ayant obtenu son certificat d’études à 12 ans, j’ai remarqué, en transcrivant ses correspondances qu’il ne faisait aucune faute d’orthographe.
Ô noble discipline, il fallait obéir
Et je les écoutais, refaire leurs tranchées
Que le soixante-quinze avait bouleversé
Pendant l’après-midi par un bel arrosage
Et lorsqu’une fusée montait dans le ciel sage
Je voyais devant moi, peut-être à trente mètres
Huit ou dix formes qui me révélaient les êtres
Lâches, sournois, cruels dont je me méfiais…
Ils étaient dix alors, les x trois que je voyais
Quand j’avais dit « Faut-il tirer, mon Lieutenant ? »
Mes dents s’entrechoquaient, la fièvre, maintenant
Envahissait mon corps de tout son grand frisson
Car je croyais les voir, appuyer leur menton
Sur les sacs entassés qui formaient parapet…
… »mais où s’est-il caché celui qui rampait
Tout à l’heure devant notre réseau de fer »
Je grelottais de fièvre et j’appelais de « l’air »
Et des éclairs brillaient ! la voix des mitrailleuses
S’élevait en chansons rageuses et railleuses
Et au crépitement des fusils, le canon
S’ajoutait et c’était un orchestre sans nom
…c’est pour se « protéger » que les batteries tirent.
Et les autres guetteurs comme moi, s’aplatirent
Car ils nous envoyaient une telle décharge
Que je vous l’avouerai, nous n’en menions pas large.
… mais ce qui m’étonnait, c’est que nos artilleurs
N’aient pas voulu troubler un peu « leurs travailleurs »
…Ah, j’oubliais déjà la consigne donnée !…
De fins brouillards ouataient le fond de la vallée
Un chant craintif d’oiseau montait, narguant la mort
Qui nous enveloppait à l’Ouest, au Sud, au Nord
Les étoiles au ciel perdaient leur clarté !
L’aurore se levait, pleine de majesté…
Ah quel soulagement lorsque le jour parut
En ce premier Août qui me rappela Rhut
Car on glanait aussi chez nous ! On moissonnait
Bien loin de la tranchée où je faisais le guet.
Chant de l’oiseau
I
Je chante au lever de l’aurore !
Je chante pendant tout le jour
Le soir tombe, je chante encore
La beauté, la vie et l’amour !
Je suis la chanson vivante
Je suis la gaieté qui chante…
II
Je chante au cœur du joli bois !
Dans le libre champ de l’espace !
Et dans mon cœur et dans ma voix
C’est la chère folie qui passe…
Je suis le cœur que tout enchante…
Je suis l’éclair vivant qui chante !
III
Je chante les buissons en fleurs !
Je chante le champ aux épis !
Sans oublier les travailleurs
Et les œufs dans les petits nids,
Je suis la vie reconnaissante
Je suis la joie vive qui chante !
IV
Je chante la Terre endeuillée
Le ruisseau couvert de glaçons
Dame nature dépouillée
De ses fleurs et de ses chansons !
Je suis la tristesse dolente
Je suis l’espérance qui chante !
V
Je chante un dieu qui fit les (illisible)
Le brin d’herbe et le pin géant
Les bois, les prés, les champs, les (illisible)
Je dis sans (illisible), tout est néant
Je suis la prière innocente !
Je suis la douce foi qui chante.
VI
Je chante malgré qu’un méchant
Ait détruit ma chère couvée !
Mais ma voix tremble et dans mon chant
ce n’est plus la même envolée
Je suis la douleur déchirante
Je suis le cœur meurtri qui chante.
17 novembre 1915
Nous vaincrons !
XV
Nous vaincrons, Il le faut, pour que nos champs de blé
Ne soient plus menacés d’être encore brûlés
Par une horde hurlante et de nouveaux « patrons »
Nous vaincrons !
XVI
Nous vaincrons ! Il le faut ! Et sur tous les terrains !
Les boches commerçaient chez nous en souverains !
Nous n’en avons que faire ! Et nous leur diront !
Nous vaincrons !
XVII
Nous vaincrons ! Il le faut ! C’est le vœu de l’Histoire !
Boches, vous y viendrez répondre à son prétoire !
Et pour vous accablez, nous y témoignerons
Nous vaincrons !
XVIII
Nous vaincrons ! Il le faut ! Sachons rester unis !
Prolongeons seulement la trêve des partis !
C’est pour la stable paix que tous nous désirons
Nous vaincrons !
17 novembre 1915
Faire plaisir
Met le feu dans mon âme et l’éclair dans mes yeux
Pour que mon vers soit clair, simple et harmonieux
… Tu m’aideras à le choisir
Pour que je le chante bien dans « mon faire plaisir » !
Faire plaisir ! Quel son divin, charmeur et tendre
Dans ces deux mots, mais, qu’ils sont doux à dire !
Aujourd’hui je suis pâle, ému jusqu’à l’extrême !
Je médite un sujet bien fait pour émouvoir,
Et quand je vois le champ où je veux me mouvoir,
Je me sentirai faible et douteux de moi-même
Si je ne comptais pas sur la Muse qui m’aime
Et qui s’en va venir renforcer mon pouvoir…
Viens ! fille aimée des cieux !
Accède à mon désir !
Et comme l’auditeur se hâte d’y souscrire
Remué par la voix qui les lui fait entendre
Et par sa charité qu’il sent vouloir s’étendre
Plus loin, s’il le fallait, qu’à tout ce qui respire…
Ô sentiment inné !
Besoin d’aider les autres
De leur faire plaisir ! Tu vaus d’être chanté
Par le poëte, heureux s’il te fait des apôtres
Et dont l’orgueil sera couronné
S’il peut voir plus épais les bataillons des nôtres !
Faire plaisir ! Cela devrait toujours se faire…
Vous émiettez du pain aux oiseaux affamés !
Vous protégiez le lis contre le vent colère !
Vous souriez aux fleurs et vous croyez leur plaire !
Oui ! Mais pour l’un de vous, ah ! Nos cœurs sont fermés !
Ils n’avaient joint ce feu dont on les crû brûlés…
Pourquoi chérir la haine
Et porter son drapeau !
Il n’est point sous les cieux, plus dure souveraine
Et pour qualifier les siens: Plus vil troupeau !
Venez ! La charité sereine
Venez vous enrôler tous sous le sien bien plus beau.
Secoué rudement parmi cette fumée :
Mais oui, c’était hier que j’étais un soldat,
Maintenant qu’ils m’ont mis hors de combat
Est-ce l’heure de dire: »Ils sont là! lieutenant
Faut-il tirer dessus ?…C’est trop tard, maintenant.
Quatrain
I
Oh! Ne troublez jamais le calme d’une eau pure !
Laissez la pure et toute.
Surtout, ne troublez pas l’âme qui se rassure
En y jetant le doute.
II
Ne méprisez jamais les rayons du soleil
Qui vous fait mal aux yeux,
Mais bénissez plutôt le soir et au réveil
Son auteur dans les cieux.
III
Ne jetez point la pierre au chien inoffensif
Qui passe dans la rue !
Surtout ne soyez point aveugle, intempestif
Devant l’âme ingénue !
IV
Ne trahissez jamais la légère hirondelle
Qui choisit votre toit
Mais ne trahissez jamais non plus l’ami fidèle
Qui sait ce qu’il vous doit.
V
Ne cultivez jamais les ronces dans vos champs !
Pas plus que les chardons !
Bannissez toute haine et haï des méchants
Soyez parmi les bons.
VI
Ne laissez jamais rouiller vos charrues et vos bêches
Qui voudraient travailler.
Surtout, ne restez point avec des joues bien fraîches
Sans choisir un métier.
VII
Ne narguez pas la mort qui rôde autour de vous
Les fleurs et les humains !
Rappelez vous plutôt que le trépas n’est doux
Qu’à (illisible)
Qu’à ceux qui sont des Saints.
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I
Heureux qui se lève pour répondre à l’appel
De la sainte Patrie et du noble drapeau
Le front auréolé d’un espoir immortel
Et l’éternelle foi comme éternel flambeau.
II
Heureux qui s’enrôla, jeunes célibataires !
Pères chargés d’enfants, paysans, écrivains !
Avocats, députés, riches et prolétaires!
Tous les « Mathias » vengeurs de nos droits les plus saints.
III
Heureux qui supporta les terribles fatigues
Des cruelles journées de « Liège et Charleroi »
Et sous le feu d’enfer des batteries prodigues
Sut regarder la mort en face et sans effroi !
IV
Heureux qui se battit sur les bords de l’Yser,
De la Marne, de l’Aisne et les bords de la Meuse
Et qui vit refluer les hordes du Kaiser
Frappant en vain le sol de sa botte rageuse !
V
Heureux qui supporta les épreuves sans nombre
De la sombre retraite et sur le Grand Morin
Où ils avaient conduit leur maints soldats de « l’ombre »
Fit faire demi-tour aux sauvages du Rhin.
VI
Heureux ceux que la faim et la soif tenaillèrent !
Les victimes du froid ! heureux les pieds gelés !
Heureux les blocs de boue que d’autres « blocs » raclèrent.
Heureux ceux qui marchaient quand on disait « Allez !
VII
Heureux qui fut blessé! la noble cicatrice
Le désigne au respect des gens et de l’Histoire.
Heureux les malheureux plongés dans la nuit noire.
VIII
Heureux les amputés, les manchots, les martyrs !
Que l’on trouva geignant dans quelque trou d’obus!
Heureux ceux-là qui font entendre des soupirs
Sur un lit d’hôpital qui ne quitteront plus.
IX
Heureux qui s’affaissa les armes à la main !
Le sourire à la lèvre un beau jour de victoire !
Et qui est aujourd’hui dans un sombre ravin
Avec pour tout linceul, le linceul de la gloire !
X
Heureux celui qui dort dans un obscur sillon !
Heureux celui qui dort sans cercueil, sans tombeau !
Sans la petite croix qui nous dirait son nom !
Perdu dans le plus morne et grand incognito !
XI
Heureux les morts vivants, les héros ne meurent pas,
Réellement- Il vit une seconde vie !
Car l’immortalité sacre un noble trépas !
Heureux les morts vivants! Les morts pour la patrie !
XII
N’arrosons point de pleurs les bustes et les stèles !
Planons comme nos morts au dessus des tombeaux!
Envions les, jetons sur eux les immortelles !
Sachons entretenir le culte des héros !
Le soleil radieux brillait depuis longtemps
Et réchauffait nos cœurs encore haletants
Lorsque par les boyaux décalés tortueux
Nous vîmes arriver un jus » un jus piteux » !
Puis on nous avertit de quitter notre ligne !
Avec sac et fusil, nous partons, sur un signe
Pour aller en deuxième, au fond d’une « cagna »
Je sais plus d’un dormeur, ravi, qui roupilla…
Comme l’on demandait quatre ou cinq volontaires
Pour apporter la soupe au fond des taupinières,
Mais il fallait la chercher un peu loin;
Je dis » Je serai là si vous avez besoin ! »
Je pars avec au moins vingt, vingt-cinq bidons
Que m’offrent, empressés, un tas de bons garçons
Qui préfèrent pourtant voir apporter de l’eau
De la soupe bien chaude et du vin dans un seau.
Que de se déranger pour avoir tout cela…
Et si c’était un tam-tam effroyable par-là !
Les marmites tombaient, mais nos bons cuisiniers
Ne s’en effrayaient pas !…Les bifteks sont grillés?
« Et les nouilles ? le vin ? … Attendez un moment !
« La distribution commence incessamment »
J’avais fort bien mangé ! J’avais un peu dormi
Dans la grotte « de guerre » où je m’étais tapis
Et je venais d’aider à faire un mur de sacs
Et j’avais entendu plus d’une fois « Boum, crac »
Au-dessus de ma tête.
« Hé ! Viens monter la garde !
À qui parlez vous ? Est-ce à moi que je hasarde
« Oui » Je prends mon fusil et le factionnaire
Me dit en quelques mots tout ce qu’il faut faire.
…Est-ce qu’ils me voyaient, les lâches et les brutes ?
Cinq minutes à peine, oui cinq petites minutes
C’étaient écoulées « Boum ! » J’embrassai la poussière
Une épaisse fumée emplissait l’atmosphère !
Et je me débattais, sans force et sans pensée.